En juillet 2021, La Revue Hypnose et thérapies brèves a organisé ce colloque , qui sera retransmis dans un prochain numéro . En voici quelques échos.
1)le pouvoir des suggestions est il si important ?
Julien Betbèze raconte une expérience qui fut faite avec des employés de banque , à qui on avait montré une vidéo d’une attaque à main armée, par un homme blond et d’aspect banal, puis à qui on avait suggéré en hypnose que l’homme avait une cicatrice.
On leur présente ensuite trois personnes susceptibles d’être le voleur, dont le blond : ils « reconnaissent » un autre, un homme au teint bronzé, avec une balafre. Quand on leur dit qu’il leur a été suggéré en hypnose que l’homme avait une cicatrice , et que c’était le blond qui avait fait l’attaque ,chacun affirme: « non, on ne me l’a pas suggéré ! “
Pourquoi cette suggestion a t elle été si forte ? Et pourquoi a t elle eu la puissance de créer un faux souvenir ? Julien Betbèze répond : parce qu’ elle correspondait à leurs attentes, au stéréotype sociétal du voleur . Une suggestion, même démentie par la suite, est acceptée quand elle correspond à l’idéologie sous jacente.
2)Peut on proposer un contenu à nos suggestions ?
-en hypnose médicale (on cherche l’hypno-analgésie et le confort du soin :on fait des suggestions de confort ,de lieu sûr . Et ce qui est étonnant : à distance du soin, on peut observer des changements dans la vie du patient et de sa famille.
– en psychothérapie hypnotique : le but est que le patient redevienne acteur de sa propre vie, retrouve des relations où il soit à sa place, capable de construire des perspectives pour sa vie .On a alors deux possibilités : -soit on propose plusieurs suggestions , en espérant que l’inconscient du sujet choisira ce qui lui convient, -soit on prend une position décentrée (comme le fait la thérapie narrative) afin de ne pas penser à la place de l’autre.
Selon Alain Vallée, il y a deux comportements des thérapeutes : ceux qui se sentent gênés de n’être qu’un vivant à coté d’un autre vivant : et il leur faut proposer des images, des suggestions des métaphores,tandis que d’autres thérapeutes n’utilisent pas tant d’outils, car ils assument une attitude minimaliste, qui fait appel à une double attention : à ses propres sensations et émotions, et à celles de son patient, afin de se focaliser sur le présent de la rencontre et la scène du corps.
Ainsi, Laurence Lavigne, dans sa pratique d’HTSMA, s’épargne la tâche des suggestions hypnotiques classiques, , au profit d’un espace thérapeutique co-construit avec le patient, où la scène imaginaire naît de cette collaboration.
Enfin, selon Marie Arnaud, la confiance du thérapeute en les capacités de changement de son patient est à elle seule déjà une suggestion thérapeutique. De même , la recherche d’exceptions au problème, et la question miracle, en sont aussi.
D’autres orateurs à découvrir dans la revue: R.DUMAS, G. OSTERMANN, J. PAYRE ,F HONORÉ.
Novembre 2020:Nouveaux outils, nouvelles pratiques : des pépites à découvrir dans les récents numéros de Hypnose et thérapies brèves (N° 53,58 et 59)
Chez les patients déprimés , Julien Betbéze nous rappelait dans le n°53 (« émotions et relation dans les états dépressifs » , p98) qu’on peut « après un séance centrée sur des expériences relaxantes et agréables, voir émerger des angoisses de mort »
D’où l’intérêt d’utiliser (ce que nous faisions peut être déjà, sans le conceptualiser) l’ « expérience sécure , relationnelle et active » que nous décrit Arnaud Zeman, (n°58, « l’expérience sécure, développement du lieu sûr ») : il montre comment le lieu sûr peut n’être qu’une carte postale : on peut être au soleil sur une plage… seul… et à la merci d’un danger soudain. Par contre, une action réalisée avec ou pour une personne qui vous fait confiance, un apprentissage, une expérience où le patient s’est senti en sécurité dans un contexte insécure, sont plus efficaces pour faire face à des situations difficiles de la vie.
Avec des enfants ou adolescents handicapés, Christelle Lecellier (n°59) utilise notamment la technique de Rossi des deux mains pour déposer dans la main saine le lourd, les problèmes , et dans la main handicapée les ressources et les réussites. Dans le travail du couple parental, les deux parents se tenant la main peuvent sentir la main qui soutient l’autre, et qui laisse venir toutes lesforces, ressources et réussites qu’ils ont déployées ensemble , et dans l’autre main ses propres ressources fiertés et rréussites. Ainsi peuvent ils découvrir leurs propres ressources et leurs ressources de couple.
Dans les soins palliatifs, J.Bechhio et S. Pourchet décrivant les techniques d’activation de conscience (TAC), conseillent de simplifier les exercices d’hypnose: « débuter l’exercice sans induction et aller droit au but est suffisant : reconnaître l’inconfort présent … et accéder plus directement au soulagement grâce à l’utilisation du souvenir d’apprentissage. Dans les Tac , le recours à la proprioception, au mouvement , à l’équilibre , au dialogue est prépondérant . Le Vakog est utilement remplacé par le PAVTOG (proprioception, audition,vision, toucher, olfaction, goût). »
Valérie Etchevers , infirmière en Ehpad, nous montre comment elle utilise la biographie des résidents , même atteints d’Alzheimer,en chuchotant à leur oreille pour leur faire revivre de bons moments, et ainsi les soulager et améliorer leur qualité de vie . (pour le travail avec ces patients aux troubles cognitifs, je rappelle l’excellent livre publié chez Dunod , sous la direction de Marie Floccia : Hypnose en pratiques gériatriques »)
Stéphanie Delacour, travaillant avec des jeunes immigrés traumatisés, utilise la notion de volume corporel à à récupérer, réinvestir, nettoyer.
La notion de volume extérieur est comprise par Corinne Paillette comme exprimant la distance que l’on établit avec les autres : trop grand , on est envahissant , trop petit on est effacé ; elle travaille avec ses patients à restaurer un espace convenable en leur faisant mettre les mains à hauteur des épaules, les paumes face à face, circonscrivant une boule , un espace , au sein duquel on se visualise comme une planète et on fait entrer d’autres planètes , (son patron, son mari etc). Puis elle demande d’observer la distance entre ces planètes , et leur interaction, de sentir dans le corps les sensations, de modifier la distance , de ressentir le changement dans les sensations corporelles…
Oublions les outils
ce pourrait être la leçon de trois dernières contributions du n°59 : :
-celle de Stefano Colombo, qui à travers la remise en question des premiers mots que l’on adresse au patient, interroge le poids des mots et la relation médecin malade au temps du covid : « Prenez soin de vous Docteur »
-celle de Adrien Chaboche : ne pas croire « que ce soient les suggestions qui font le travail » . Les livres de métaphores, les recettes thérapeutiques ? : « une sorte de prêt à porter de la suggestion thérapeutique, là où il n’y a que du sur-mesure », et il nous invite à « s’autoriser à ne pas savoir, à hésiter …se taire pour ne pas dire trop, et laisser venir ».
– celle de Stephen Lankton, interviewé par Gérard Fitoussi, à qui Milton Erickson apprit « les concepts d’utilisation, d’indirection, d’ambiguité, de dissociation conscient/inconscient et à parler le langage expérienciel du patient » , et qui a compris « après 40ans de psychothérapie que chaque personne a un problème unique et différent qui nécessite une approche sur mesure et personnalisée … ».
-Mars 2020 J’ai relu dans le numero 53 de la « Revue Hypnose et Thérapies brèves,le dossier sur les émotions, et particulièrement l’article du Dr Julien Betbèze, psychiatre:
Le Dr Julien Betbèze, psychiatre hospitalier à Nantes, cite François Roustang :
« ..le corps est pour la personne l’interface de son rapport au monde.La souffrance n’est pas un mal être intrapsychique(….) elle vient de ce que l’on est mal placé et que l’on se place mal, que les mots qu’on dit avec son existence ne sont pas dans la bonne phrase ou que la phrase n’est pas dans le contexte qui convient ». (F.Roustang , qu’est ce que l’hypnose ? Ed Minuit .)
Et J.B. commente : le contexte dans lequel les mots et les phrases peuvent avoir un sens est le contexte relationnel. Ce n’est qu’à partir de ce dernier que les actions et les émotions peuvent prendre sens et ouvrir, pour le sujet, de nouvelles possibilités de vie » Une émotion est une façon de nommer et d’interpréter un ressenti sensoriel, dans une relation affective . La relation est le contexte à partir duquel l’émotion émerge. Par exemple , si on rentre dans une nouvelle relation , et que l’on ressent dans le corps de la peur, cette peur est un signal d’aller chercher dans nos ressources comment ajuster la nouvelle relation.« Accueillir nos émotions implique de percevoir les ressources vers lesquelles nos émotions nous dirigent, c’est à dire se poser la question : à quelle ressource s’adresse cette émotion et quelles sont les histoires de vie reliées à cette ressource ? ».
Les patients n’arrivent pas à se connecter avec les ressources correspondant à leurs relations sources d’émotions : ils ne sont pas présents à la relation, ils sont dissociés, à la recherche de quelque chose qui est ailleurs.
Ainsi , colère , peur , tristesse ne sont pas des émotions « négatives » : les émotions servent à s’adapter, si on sait les accueillir.
« Parler d’émotions négatives empêche de percevoir le sens de l’émotion et risque de précipiter le thérapeute dans une voie sans issue »
Et dans la dépression?
« La dépression est caractérisée par l’incapacité du sujet à accueillir sa tristesse, et percevoir la valeur blessée dans la relation. Cette non perception l’amène à lutter contre ses ressentis sensoriels de tristesse et transformer celle ci en tristesse de la tristesse »Par exemple, si un patient est triste de n’être pas écouté, il peut adapter sa relation de façon que l’écoute devienne possible. S’il ne peut utiliser ce signal de tristesse pour modifier sa relation, il va passer à une tristesse d’être triste , et lutter pour chercher un monde sans tristesse, utopique.
Si le thérapeute l’emmène dans un ASA (accompagnement dans un souvenir agréable , indépendamment d’une expérience relationnelle), et ne lui permet pas de se connecter avec des moments où il a pu accueillir sa tristesse, on va s’égarer dans le monde de l’utopie et risquer après une séance centrée sur des expériences relaxantes et agréables de faire émerger des angoisses de mort .
J.B. cite une de ses patients, déprimée et triste que son conjoint la délaisse : sa tristesse est en lien avec la valeur blessée de l’amour , mais elle ne la perçoit que comme tristesse de la tristesse, s’enferme dans une vison dévalorisée d’elle même, et sa vision étroite l’empêche de déceler les intentions positives de son conjoint . C’est en construisant une histoire alternative, (une vision différente de ses relations conjugales) « en donnant des exemples concrets de ce qu’elle souhaite vivre, qu’elle pourra percevoir les intentions d’accordage de son conjoint. »
Ainsi, la double écoute -centrée à la fois sur le paysage de l’action et de l’intention- va permettre de constituer une histoire alternative, et d’interpréter les expériences vécues comme un hommage aux valeurs préférées du sujet, celles ci n’étant que la forme de ses relations vivantes.
–Soigner la dépression : colloque de la revue « Hypnose et thérapie brèves », 8/12/2019.
1) Parmi les interventions celle du Dr Claude Virot, psychiatre à Rennes, « 20 ans sans antidépresseurs » : en 1998, l’atmosphère en France était : dépression =antidépresseurs , ne pas prescrire était dangereux , la psychothérapie était facultative…
Il traite ses patients avec hypnose , et de moins en moins avec antidépresseurs.
En 1997 il individualise les dépressions « chaotiques » très spectaculaires, mais qui pouraient être le témoin d’un processus évolutif riche de recomposition, et peut être à accompagner sans antidépresseurs…
Il donne comme tâches à ses patients de faire des mandalas, et en tire de riches enseignements.
En 2007, l’INPES met en avant la psychothérapie pour les dépression slégères et modérées, et c’est en 2008 que sont publiées deux « bombes médiatiques » : 2 méta-analyses (Kirsh en Angleterre, Fournier aux USA) montrant que les antidépresseurs n’agissent pas mieux que des placebos , au prix d’effets secondaires qui ont été négligés. Seules les dépressions très sévères (10%) pourraient être une indication à les utiliser ? C’est la recommandation actuelle de l’HAS, qui conseille les antidépresseurs dans les dépressions sévères, alors que les dépressions légères ne doivent pas en recevoir , et les modérées, parfois .
Je vous renvoie au document de l’Has : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-10/depression_adulte_recommandations_version_mel.pdf
et au résumé que je fais d’un article du Pr Kirsh : antidépresseurs et placebo (voir dans « questions en débat » , autre onglet de cet espace pour professionnels)
et en attendant la parution des actes de cette journée dans la revue Hypnose et thérapie brèves, aux articles antérieurs de Claude Virot:
« Les troubles dépressifs concepts et applications hypnotiques » in « Traité d’hypnothérapie, fondements méthodes applications »ss la dir de A Bioy, D.Michaux, Dunod 2007
“De la couleur avant toute chose. Sept modèles de changement dans la dépression“. Claude Virot hors série n°5 de la revue Hypnose et thérapies brèves
2) Connaissez vous David Lebreton ?
« Disparaître de soi » est le titre de son livre sur la dépression , qui a été présenté à cette journée.
C’est un anthropologue éminent que j’avais écouté dans un congrès de rhumatologie parler de la douleur chronique , et j’ai dévoré son excellent ouvrage « Expériences de la douleur.Entre destruction et renaissance. Ed Métaillé 2010
3) Difficile de résumer le riche dialogue entre Julien Betbéze et Eric Bardot, Comment se libérer d’un passé omniprésent pour redevenir acteur de sa vie ?
Je ne donnerai que quelques pistes .
A partir d’exemples cliniques , ils ont souligné ce qu’on sait maintenant sur l’importance des troubles de l’attachement, comment la maltraitance rend le lien douloureux, alors que l’abandon, l’absence de lien , est mortifère. Pour sortir de la dépression, il faut se mettre en mouvement, mais comment faire si ce mouvement renvoie au vide ? Quand la société pousse à la déshumanisation des liens, il faut retrouver des relations affectives partagées. Quand une action est terminée, il faut qu’elle soit reconnue par l’autre. Pour sortir de la dépression, il faut remettre en place le « nous » et rentrer dans une nouvelle histoire, déconstruire le langage social figé , normé, pour un langage ancré dans des expériences corporelles de vie.
Je vous renvoie à leurs contributions déjà parues en mars 2017:dans le Hors série N°11 de la revue Hypnose et thérapies brèves :« La relation thérapeutique » :
-de Julien Betbèze : « La relation au coeur de l’hypnose » et : « Autonomie relationelle »
-de Eric Bardot : « Monde psychotraumatique »
4) je ne peux citer tous les intervenants : Vania Torres-Lacaze, Dina Roberts, Henri Bensoussan,
Catherine Leloutre – Guibert,Sophie Cohen : vous retrouverez leurs interventions dans le numéro
de la revue qui rapportera cette journée.
Michel Ruel 6/1/2020